Kacem Wapalek - Je Vous Salis Ma Rue
Publié le 21 Octobre 2015.
Ecrit par Nicolas.
Kacem Wapalek en concert le 21 Octobre au Confort Moderne dans le cadre de Hip Hop & Co.

J'ai rencontré Kacem Wapalek par hasard il y a bientôt trois ans. Une soirée hip-hop à Vendôme à l'initiative de Figures Libres (l'asso toujours dans les bons coups !) où je me rendais avant tout pour la magie du verbe de Flynt. J'en suis ressorti avec le sentiment de lui avoir découvert un dauphin au sein du collectif lyonnais L'Animalerie. L'arrivée du premier album du rappeur, Je Vous Salis Ma Rue, était donc pour moi l'attente d'une confirmation, qui, au final, ne fut pas déçue. 

Le disque s'ouvre sur la mélancolie contrastée de sentences positives de "Le Temps Passe". Dès ce premier morceau, le talent d'écriture de Kacem fait mouche dans les esprits : « La vie est un livre qu'on n'peut lire qu'une seule fois / On aimerait parfois pouvoir revenir / À la page où l'on naît parce que celle où l'on meurt / Est bientôt sous nos doigts ». Suit ensuite "Pas Facile", titre où l'auteur décoche de premières flèches destinées à la médiocrité ambiante du rap français et du système qui l'entoure : « "Le premier sur le rap" ne passe que les derniers d'la classe ». Un constat qu'il adosse immédiatement et avec justesse à la difficulté à faire sortir de l'ombre un rap au propos intelligent et dénué d'insultes : « J'ai l'baccalauréat mais y'a qu'ma mère qu'ça rend heureuse ».

Kacem conserve ensuite le goût du vocabulaire scolaire dans l'egotrip à note maximale "Vingt sut Vingt". Auto-congratulation à son comble, non sans humour : « Mon flow va faire mal à toute la formule 1 ». Le troisième couplet de "Comme d'hab" négocié à vitesse maximale confirme à ceux qui ne l'aurait pas pris au sérieux l'impressionnante aptitude à la conduite verbale du sieur Wapalek. Maîtrise technique et sonorité du phrasé marquent ce titre au beat radiophonique doublé de choeurs féminins. Le flow s'entrecroise au passage avec celui de l'ami Nemir.

Dans les instrus comme dans les thèmes des textes, l’éclectisme est revendiqué et le détour imprévu jamais très éloigné. "Marie Jeanne" surprend. « Une petite Brassensserie Wapalekienne » sur fond de notes de guitare acoustique, personnification d'une addiction à laquelle il admet s'être « marié jeune ». "Décalages" fait la part belle aux rythmes et chants arabisants dans une tonalité assez groovy qui ne manque pas de contraster avec un texte axé sur la dénonciation des inégalités et du racisme ambiant. Le propos garde ensuite sa veine "Politique" (« la France aux Français, déjà l'Afrique aux friqués ») sur un arrière-plan sonore plus ambiant.

La cadence des paroles tournoyantes reprend sur "Ventilo". Discours sociétal en forme d'avertissement pêle-mêle aux médias abscons et à la masse qui les consomme : « Arrêtez tous vos mythos […] Éteins la télé, pélo ». Les Faux, pas sans défauts et en deçà de tout ce qui a précédé constitue le petit moment d'égarement de l'album. Heureusement, la reprise du rythme est rapide avec "Gosse Beau" freestyle vieux de trois ans et réenregistré pour l'occasion. Wapalek assène : « "MON rap", "MA vision", "MA définition" ». Et déjà à l'époque une prédiction : « l'album arrive, bref, on verra si les gens suivent »... Il semblerait bien que oui !

Photographe, sur un ryhtme chaloupé, poursuit dans la même veine en opposant le fait que « Dans l'rap, y'a plus de clichés qu'chez l'photographe » vis-à-vis du « rap à l'instinct » servi par un Kacem Wapalek décidé à nous faire savourer l'instant. Fin de ce triptyque freestyle avec "Pas de doute", dernier egotrip speedé « semant mille mots » à la minute. Ce n'est pas sans ironie après un tel flot de paroles que le morceau se conclut sur une petite devinette à portée philosophique : « T'sais pourquoi on a deux oreilles et une bouche ? / Parce qu'on a deux fois plus besoin d'écouter qu'de parler, mec ».

Enfin, le planant "Insomniaque" délivre tout du long de son parcours noctambule un message de grand frère résumé en quelques mots : « Il est temps qu't'apprennes ». Kacem Wapalek lui a appris : à tracer sa route loin des sentiers balisés du rap français. C'est là sa plus grande qualité et l'assurance d'une belle soirée au Confort Moderne le 21/10 pour les amoureux des mots et de ceux qui les manie avec dextérité.