Dune, Azzedine Saleck
11 février 2022 jusqu'au 08 mai 2022
Entrepôt
 
   

Tarif

Entrée libre
 

Dune est la première exposition personnelle d’Azzedine Saleck dans une institution artistique française. Le poète et plasticien américano-mauritanien n’est pas étranger au Confort Moderne, et l’exposition s’inscrit dans le sillage d’échanges et de collaborations passées. 

C’est en effet ici que l’artiste expose pour la toute première fois en 2009. Les murs extérieurs du lieu de création portent peut-être encore les traces des poèmes qu’il y avait inscrit. C’est dans une autre exposition collective, Tainted Love (2017-18), qu’il érige quelques années plus tard une tente, un espace qui servira d’écrin pour une peinture d’une autre artiste de l’exposition Apolonia Sokol. Portes, arcs, tentes, clubs, sont des formes que l’artiste réemploie sans cesse.

Monumentales ou miniatures, objets préhensiles ou métaphores textuelles, il invite le spectateur à traverser les seuils et les portails, des paysages et des assemblages toujours construits à plusieurs mains. S’imposent déjà là les thèmes qui innervent la pratique d’Azzedine Saleck. L’artiste revient compulsivement à la construction d’espaces transitionnels, éphémères et intimes, propices à la collaboration.

Il ne faut pourtant pas s’y tromper, malgré la lumière orangée et la chaleur de l’espace d’exposition, Dune n’est pas une invitation à traverser un paysage exotique. Comme les lettres de laiton qui ceignent les murs de l’espace, Dune est un texte à l’horizon. C’est un récit intime et fantasmagorique qui tient du mirage. L’artiste livre la genèse du projet: alors qu’il marchait dans le désert mauritanien, il repère une dune flanquée de deux arbres. Il essaie immédiatement d’en mémoriser la forme, de l’immortaliser sur la pellicule numérique de son appareil photo. Il se prend aussi à rêver d’y inviter des artistes, des ami.e.s et les habitants de Terjit, son village d’enfance, pour partager un de ces moments d’échanges et de poésie que seul l’air brulant du désert rend possible. Son père en fait alors l’acquisition, mais elle disparaît plus tard, emportée par le vent. Seuls sur la parcelle, se tiennent encore les arbres.

Après des essais infructueux en matériaux composites plusieurs années durant, il réalise pour la première fois une composition monumentale avec le sable du désert de Terjit. Une entreprise où s’entremêlent l’impossible, le rêve et l’absurde, et pour laquelle il fait appel à ceux qui habitent encore le village. Réalisée avec le sable inutilisable et inexploitable du désert mauritanien, la dune qui s’élève au milieu du Confort Moderne contient, efface et relève tout à la fois le travail, les gestes, les récits patients de tous ceux qui l’ont foulée, manipulée et rêvée. C’est un jeu de mains qui dessine les routes de commerce et de migration, dans le désert ou sur les mers, dans les camions ou dans les containers.

Alors que les tapis au sol de l’espace d’exposition invitent le visiteur à s’assoir, la genèse de Dune nous rappelle la maxime de Werner Herzog selon laquelle « le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied. ». Si Dune puise dans le paysage désertique ses terres d’images, l’exposition propose d’explorer le paysage sous un autre angle. Puissante allégorie du temps, du changement et de l’immuabilité, de l’hospitalité et du danger, le sable est également le prétexte à réévaluer le temps et l’espace hors de ses conceptions occidentales, du découpage et de la récursivité de la montre, et des méridiens. Azzedine Saleck double ici ces considérations d’une charge politique avec un entretien qu’il a voulu « entre bédouins », déléguant ainsi la discussion avec Mohamedou Ould Slahi, prisonnier politique de Guantanamo, à son propre père.

Le sociologue Howard Becker nous a donné une définition sociale et interactionelle de l’art. Il soutenait que l’art était une série de mondes qu’il fallait comprendre comme un ensemble de relations durables, opportunistes ou éphémères. Les travailleurs culturels (artistes, administrateur.ice.s, commissaires, fournisseur.eu.s, critiques…) et le public qui y gravitaient, en composaient la constellation. En faisant culminer sa Dune sur le plateau du Confort Moderne, le poète et sculpteur Azzedine Saleck nous invite à explorer le langage, les récits personnels et les déplacements, mais aussi cette dimension collective de l’art qu’il place au centre de son geste et de sa réflexion. Avec cette installation monumentale et dépouillée, l’artiste tente de casser le regard et la chorégraphie au sein du lieu d’exposition. Où que l’on soit autour de la langue de sable, le visiteur peut selon les mots de l’artiste « aller où tu veux, tu es déjà au bon endroit ».

Caroline Honorien, février 2022